Pierre Bastien : home

: RÉPONSE A 6 QUESTIONS :

1- démarche

Oui, j'ai l'impression de participer à l'art contemporain, département musique. C'est ainsi que le cinéaste hollandais Karel Doing, ou Pierrick Sorin en France, sont souvent mes partenaires sur les scènes de concert.

Quant aux courants musicaux, ils m'intéressent tous également, si bien que je ne me vois pas m'agréger exclusivement à l'un d'eux en particulier. Je revendique autant la simplicité de la musique populaire, la subtilité de la contemporaine, l'hypnose de la répétitive, la créativité de l'improvisée, la spontanéité du premier jazz ou l'étonnant panorama de sonorités des musiques du monde.

Cependant il y aurait bien un mouvement que je pourrais dire décisif, celui qui de Raymond Roussel à l'Oulipo s'est attaché à inventer des mécanismes de création - littéraire en l'occurrence. Mes machines, et les dispositifs sonores de nombreux autres musiciens contemporains, relèvent de quelque " ouvroir de musique potentielle ", c'est-à-dire que nous cherchons toutes sortes de nouveaux moteurs à la production musicale, pour renouveler les anciennes techniques, les remplacer ou simplement les englober dans un système neuf.

2- références

Eh bien voilà, mes références sont plutôt littéraires comme tu vois. Mais les peintures mécanomorphes de Francis Picabia, le petit cirque de Calder, le manège de Petit Pierre, les Metamatics de Jean Tinguely d'un côté, les musiques d'ameublement d'Erik Satie, la sonorité du cornet de Joe King Oliver, les musiques Dahoméennes en général et Nago en particulier d'un autre côté, composent aussi mon musée privé.

3- installation et video

Ce sont des moyens, aussi pertinents que le concert d'un orchestre en chair et en os, pour faire jouer et entendre une composition musicale.
Les machines que j'ai fabriquées, quand elles restent entre elles, jouent une musique qui m'échappe un peu : pas dans le détail car je leur ai inculqué un rythme, un son, une phrase musicale que chacune répète indéfiniment, mais dans la globalité parce que combinées dans un ensemble de trente ou quarante éléments, ces robots sans leur maître inclinent vers une musique plus abstraite, moins typée, difficilement identifiable, qui glisse vers la rumeur et quelques autres caractéristiques que je me défends pour ma part d'aborder. Ce phénomène autrefois m'a surpris, mais pas désagréablement si bien que je leur ai laissé la bride sur le cou.

4- musique électronique

Quelques héros de cette musique-là se sont eux-mêmes chargés de me situer face à eux : mon dernier album Mecanoid est une commande de Aphex Twin pour son label Rephlex. A Londres pour la soirée du label Chill Out, DJ Spooky jouait pile devant mon installation en meccano. Avec DJ Low nous jouons souvent en duo. Et avec Scanner nous venons tout juste de projeter un concert en Hollande qui enchaînera en trois demi-heures son solo au mien, avec un passage médian en duo. Cela sans compter les albums où j'entends - avec fierté, sans amertume aucune - ma musique samplée et utilisée à des fins que je n'aurais pu imaginer (Programme, Hipoptimist…).
La musique électronique m'a en tout cas ramené chez les disquaires, que j'avais désertés : depuis une petite dizaine d'années je rachète des disques de musique actuelle, pour écouter les musiciens cités ci-dessus et quelques autres au fur et à mesure des parutions. C'est très agréable d'être redevenu un music fan.

5- collègues

Bien sûr, il y en a des centaines : ouvre par exemple les trois catalogues de la galerie hollandaise Apollohuis, qui couvrent la période 1980-1995. Ils forment un dictionnaire de l'imagination, mise au service du sound art. Il faudrait une dizaine de pages pour dresser la liste de tous ceux que j'admire dans ce domaine. En voici une infime sélection : Max Eastley, Martin Ritches, Paul Panhuysen, Pierre Berthet, Felix Hess, Ken Butler, Gordon Monahan, Frédéric Lejunter, David Toop, Joe Jones...

6- processus

Toutes mes musiques enregistrées s'appuient d'abord sur une large collection d'instruments de musique en provenance des cinq continents, et de toute famille ; à cette collection j'ai ajouté plus récemment plusieurs séries d'objets sonores de moins en moins liés au monde musical : vieux tourne-disques, objets domestiques, feuilles de papier calque, oiseaux de jardin.
Puis à l'aide d'un de ces objets et d'un tournevis je compose la première partie musicale, soit une machine bricolée souvent en meccano, qui fera jouer à l'instrument un motif répétitif - rythmique, harmonique ou mélodique.

Naturellement je ne m'interdis pas de superposer à cette première partie mécanique, une seconde, une troisième, une quatrième voix tout aussi robotique. Dans ce cas la composition devient rapidement poly-rythmique, puisque aucun de mes robots ne fonctionne sur un tempo exactement identique à celui de son voisin.

Enfin je convoque bouches, mains et pieds humains pour en quelque sorte accompagner ces machines, et terminer une orchestration hybride, mi-robotique, mi-humaine, qui je l'espère signera la composition d'un style reconnaissable entre tous.


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